Saisir les innovations apportées par le numérique
En 2017 pour fêter ses 70 ans, l’Alliance avait organisé une journée de réflexion et d’échanges sur le thème : “La révolution digitale bouleverse l’entreprise”, ce fut l’occasion de donner la parole à des responsables de groupes industriels et de petites et moyennes entreprises, du monde académique et des collectivités territoriales pour témoigner de la manière dont chacun affrontait cette extraordinaire mutation imposée par la pénétration du numérique dans tous les domaines de l’activité humaine. Le succès de l’événement confirmait alors l’importance du sujet pour la société toute entière, marquant particulièrement l’évolution des relations aussi bien dans l’ordre hiérarchisé de l’entreprise pour laquelle il était devenu un enjeu économique et social que dans le mode de communication tant sur le plan interpersonnel que dans la pratique des échanges collectifs.
Dans son positionnement de veille stratégique privilégiant une approche transversale des problèmes résultant de la diversité d’origine de ses membres, l’Alliance s’est mobilisée depuis de nombreuses années pour saisir l’innovation perceptible dans l’évolution des modes de travail, s’intéressant en particulier au concept émergent de “tiers-lieu d’activités” (TLA). Un groupe de réflexion s’est ainsi constitué, auquel ont rapidement participé des porteurs de projet de tiers-lieux, des représentants d’entreprise et des collectivités territoriales. Les pouvoirs publics ont investi le sujet récemment, suite au rapport établi par Patrick Levy-Waitz, à la demande du ministre en charge de la Cohésion des territoires, Julien Denormadie, sous le titre évocateur : “Travailler ensemble pour mieux vivre ensemble”.
Dans cette perspective, les tiers-lieux sont définis comme des espaces collaboratifs partagés pour le travail (coworking), la fabrication et la création (fablab), des activités de services participant au développement du lien social sur un territoire (livinglab). Le partage d’un espace physique favorisant les échanges est un trait essentiel de l’usage de ces lieux. Dès lors, on peut craindre que le confinement imposé par la crise sanitaire qui réduit drastiquement la fréquentation d’un lieu commun, condamne ce concept. La relation virtuelle par le lien numérique peut-elle se substituer à la relation physique recherchée dans le tiers-lieu. La transition que nous vivons actuellement sous contrainte est-elle irrémédiable ou bien un nouvel équilibre va-t-il s’établir entre ces pratiques ?
La relation entre individus réalisée par voie numérique repose sur deux aspects distincts mais en réalité indissociables : d’une part la caractéristique technique de l’outil, dont nous sommes tributaires, qui permet un rapprochement virtuel des interlocuteurs, d’autre part le lien social qu’il permet, laissé à la libre initiative de chaque individu-usager. Voyons comment la société, dans sa diversité, sait, plus ou moins spontanément, s’adapter à ces modalités nouvelles de contact et d’échange. Observons les enfants s’organiser pour partager, avec l’enthousiasme qu’on leur connait, leurs jeux entre amis, dans des face à face hors de toute présence physique. Constatons les liens familiaux resserrés par les réunions programmées devant les écrans. De nombreux témoignages rapportent que la connexion virtuelle permet de renouer des contacts ; Découvrons les “tutoriels” en tout genre qui circulent, à la demande du simple particulier ou largement diffusés sur la toile, comme autant d’occasions de partager des connaissances et des pratiques.
De son côté, l’entreprise doit s’adapter aux exigences du télétravail collectif avec les conséquences sur son organisation et les modalités de management de ses personnels. La disponibilité d’outils numériques de plus en plus performants en qualité de participation et de sécurité lui offre des opportunités d’innovation dans les relations sociales et professionnelles, telles les “confcall vidéo” mises en œuvre pour consulter, organiser et décider au sein des équipes de travail dans les entreprises. La verticalité de la décision s’atténue au profit de la concertation horizontale. Pour l’éducation, l’évolution est encore plus flagrante. Qui contestera le rapprochement de l’enseignant vis-à-vis de ses élèves en relation individuelle ou avec sa classe par l’usage généralisé des logiciels de suivi pédagogique ? Une majorité d’enseignants s’y sont déjà conformés. Dans tous ces domaines le pas est franchi, sans doute de façon irréversible, offrant de nouvelles perspectives pour les relations individuelles ou collectives, personnelles ou professionnelles. Dans une perspective de télétravail très largement pratiqué certains sont adeptes du positionnement seul à domicile, appréciant de pouvoir se concentrer sur leur tâche dans un bureau “à eux”, sans être dérangé par le bruit et les perturbations inhérentes aux open spaces. D’autres moins bien installés éprouvent de la difficulté à faire la part entre vie personnelle et vie professionnelle dans de telles conditions. Cette confusion ne peut exister dans un tiers-lieu où l’ambiance de travail est un antidote à l’isolement en particulier pour les travailleurs indépendants qui les fréquentent majoritairement, appréciant le cadre souvent très flexible de fonctionnement et la mutualisation des moyens disponibles.
Mais dans ces circonstances d’extraordinaire mutation des conditions de travail et des modalités de relations entre les hommes, soyons attentifs à ne laisser personne en chemin. L’accessibilité et l’appropriation par tous de ces moyens restent essentielles pour l’unité de la société autant sur un plan social qu’économique A cet égard, la disparité des situations entre “les cols bleus” et “les cols blancs” à nouveau évoquée en ces jours de crise sanitaire nous obligent à une forte vigilance. Les tiers-lieux, reconnus comme acteurs du dynamisme local, doivent à ce titre, en concertation avec les collectivités territoriales, être de puissants promoteurs et lieux de formation à la culture numérique. C’est le choix des pouvoirs publics qui favorisent ainsi des actions modèles dans les territoires. Dans ces domaines et bien d’autres, ces pratiques permettent de créer et de renforcer des communautés d’intérêt partagé, à l’échelle locale, nationale ou planétaire, manifestant l’interdépendance de chacun au sein de “ce petit village” qu’est devenu la Terre. Désormais peuvent s’organiser des espaces virtuels de rencontre et d’échange, que nous nous autorisons à désigner comme “tiers-lieux hors les murs” signifiant que les pratiques procèdent de la même démarche que dans les tiers-lieux “dans les murs” s’agissant d’établir des modalités de collaboration et d’échange. Les cadres, physique ou virtuel, peuvent être complémentaires dans l’usage selon la distance, l’opportunité, l’intérêt et l’urgence du contact. A chacun de trouver son équilibre entre le lien réel de la présence physique qu’il souhaite privilégier et le lien virtuel par écrans partagés, en fonction des contraintes, apportant la meilleure réponse aux besoins du lieu et de la communauté concernée.